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J’ai reçu ce week-end, de la part d’une amie, une photo prise discrètement lors d’un trajet en train. Sur celle-ci, on peut voir une maman absorbée par son téléphone, et à côté d’elle, un bébé dans sa poussette, absorbé par l’IPad ridiculement grand qu’on lui a fourni. “Je suis passablement horrifiée”, m’a-t-elle écrit, et je n’ai pu que la rejoindre là-dessus.
J’aimerais aujourd’hui vous présenter brièvement un article de Hong et al. (2019) en lien avec cette vision d’horreur (je juge un peu, désolée). L’approche diffère un peu de d’habitude ; je vous présente quelques résultats liés à une recherche quantitative (c’est-à-dire dans laquelle on analyse des données le plus objectivement possible). Toutes les infos que je donne dans mon article proviennent de l’article présenté, dont vous trouverez le lien en bas de page.
Parents’ Phubbing and Problematic Mobile Phone Use: The Roles of the Parent–Child Relationship and Children’s Self-Esteem (Hong et al., 2019).
En français, cela donne : “Le phubbing des parents et l’usage problématique du téléphone portable : les rôles de la relation parent-enfant et de l’estime de soi de l’enfant”.
Définissons déjà le phubbing : le mot “phubbing” est un mot-parapluie qui regroupe les mots “phone” et “snubbing”, c’est-à-dire“téléphone” et “snober”. Il désigne donc l’acte d’interrompre une interaction en cours dans la vie réelle pour consulter son téléphone. Vous avez probablement en tête des situations dans lesquelles cela vous arrive, ou dans lesquelles vous-même avez ce comportement.
Informations sur l’étude
Hong et ses collègues trouvaient qu’il y avait trop peu d’études qui s’intéressaient à ce problème spécifiquement entre les parents et leurs enfants, et ont donc mené leur étude sur des écoliers chinois de 11 à 17 ans. Ils ont rempli des questionnaires, et c’est à partir des réponses obtenues qu’ils en ont déduit les résultats que je vais vous présenter. Quelques résultats proviennent d’autres études qu’ils citent toutes dans leur article et que vous pouvez consulter si cela vous intéresse.
Premier résulat : le comportement des parents influence celui des enfants
Cette recherche avait pour but de vérifier que le comportement de phubbing des parents en présence de leur enfant avait une influence sur le comportement des enfants vis-à-vis de leur téléphone ou des écrans qui les entourent.
Plus les enfants rapportaient que leurs parents étaient sur leur téléphone en leur présence, plus ils avaient tendance eux-même à avoir un comportement de phubbing. Cela s’explique en partie par la tendance à l’imitation qu’ont les enfants vis-à-vis de leurs parents.
Il a aussi été vérifié que le comportement des parents durant la petite enfance avait une influence à long terme sur le comportement des enfants. Un bébé qui aurait été très phubbé est donc plus susceptible de développer, plus tard, un comportement problématique vis-à-vis d’internet et des écrans.
Second résultat : l’influence de la relation parent-enfant
Les chercheurs ont pu montrer que la relation parent-enfant avait une influence sur le lien que j’ai précédemment expliqué : c’en est un médiateur. Cela signifie que les enfants imiteront leurs parents, mais que le degré gravité du problème dépendra de la relation existant entre le parent et l’enfant. On pourrait dessiner le résultat comme suit :
Le phubbing est associé à de mauvaises relations parents-enfants; plus un parent phubbe, moins bonne est la relation. En effet, l’utilisation fréquente des médias sociaux remplace les interactions qui sont sensées avoir lieu dans le monde réel et réduit ainsi l’implication du parent vis-à-vis de l’enfant.
Lorsque le parent est occupé sur son téléphone, il accorde moins d’attention à l’enfant et a tendance à répondre plus durement et avec moins de patience à ses sollicitations. Ce dernier essaie donc de se distraire par ses propres moyens, parfois en utilisant lui aussi les écrans à disposition. La théorie de l’attachement décrète que la chaleur et l’acceptation du parent à l’égard de son enfant comblent des besoins essentiels et sont déterminantes dans le développement d’un système d’attachement sain. Si l’enfant peut obtenir du réconfort et de l’attention de son parent, il aura moins tendance à chercher des substituts affectifs par le biais de l’utilisation de smartphones et donc développera moins de comportements problématiques.
L’article ne parle pas de cela, mais j’aimerais supposer que non seulement il devra chercher du réconfort ailleurs que chez ses parents, mais aussi il aura plus de peine à développer des relations de confiance avec d’autres personnes. Communiquer avec son enfant, c’est lui apprendre comment communiquer avec tous les autres gens qu’il rencontrera et être attentif à ses besoins, c’est lui permettre d’être lui aussi à l’écoute de ses besoins.
Ainsi, plus le parent phubbe, plus la relation entre lui et son enfant est impactée, plus l’enfant aura lui aussi un comportement problématique.
Troisième résultat : l’influence de l’estime de soi de l’enfant
L’hypothèse dite sociométrique postule que l’estime de soi de l’enfant dépend du degré auquel il se sent inclu ou exlcu des systèmes dont il fait partie. Sa famille étant le système le plus important durant l’enfance, il est fondamental qu’il se sente lui appartenir afin de développer une bonne estime de soi.
Les chercheurs ont montré que l’estime de soi de l’enfant, tout comme la relation parent-enfant présentée ci-dessus, était un médiateur du lien entre phubbing des parents et comportement problématique des enfants.
Si l’enfant, comme on l’a dit avant, est fréquemment ignoré par son parent, il va développer la croyance et le sentiment profond de ne pas être assez intéressant pour que son parent lâche son portable. Il y a, dans le comportement du jeune enfant, un esprit de compétitivité vis-à-vis du téléphone du parent : il va tenter par tous les moyens de se montrer plus intéressant que lui. Le parent sera peu attentif, l’enfant se manifestera plus violemment, le parent le réprimera avec impatience, et la boucle se répète.
Le phubbing des parents a ainsi bien un impact sur l’estime de soi de l’enfant : celui-ci se sent exclu et ses besoins ne sont pas entendus, voire réprimés avec plus ou moins d’agacement, ce qui aboutit à un sentiment de ne pas valoir grand-chose, et voilà le début des emmerdes (oups).
C’est un pattern qui existe évidemment depuis bien avant l’apparition des téléphones et est très bien expliqué dans la théorie de l’attachement. Néanmoins, il est de plus en plus fréquent pour les parents d’ignorer leur enfant à cause de leur téléphone, alors qu’ils seraient d’ordinaire attentifs à lui.
Pour finir, il a été démontré que plus l’estime de soi de l’enfant était faible, plus il avait tendance à utiliser son téléphone de manière compensatoire, par exemple en y cherchant un réconfort qu’il ne parviendrait pas à trouver dans ses relations réelles. De même, plus un enfant fait de son téléphone un usage compensatoire, plus son estime de soi sera impactée. C’est un cercle vicieux difficile à briser.
En résumé, la qualité de l’interaction entre parent et enfant, sans la présence intrusive du téléphone portable, est fondamentale pour la bonne santé de l’enfant. Je n’en ai pas parlé ici, mais les interactions avec l’environnement (dont les parents) façonnent les compétences sociales, émotionnelles, cognitives, attentionnelles et j’en passe, de l’enfant. Etre attentif et présent pour lui n’est pas un détail. Prenez soin de vos interactions avec les enfants !
Belle semaine,
Jade
Si cela vous intéresse, voilà un article qui explique la théorie de l’attachement que j’ai abordée : Théorie de l'attachement : résumé et grands principes
Référence de l’article utilisé :
Hong, W., Liu, R.-D., Ding, Y., Oei, T. P., Zhen, R., & Jiang, S. (2019). Parents’ Phubbing and Problematic Mobile Phone Use : The Roles of the Parent-Child Relationship and Children’s Self-Esteem. Cyberpsychology, Behavior and Social Networking, 22(12), 779‑786. https://doi.org/10.1089/cyber.2019.0179